La Chanson de l'autour by Louise Simard

Auteur:Louise Simard
La langue: fra
Format: mobi
Éditeur: Trécarré
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

12

Marie craignait que sa dispute avec Jacques ait des conséquences fâcheuses pour l’autour, mais plusieurs jours ont passé, et son frère n’a plus fait aucune allusion à la présence de l’oiseau dans la cabane. Rassurée, elle voudrait le remercier, mais le jeune homme reste sur son quant-à-soi. Le regard triste, il parle peu et repousse la moindre tentative de rapprochement de sa cadette. Pour ne pas ajouter à son affliction, Marie n’insiste pas. Elle comprend combien la situation est douloureuse pour lui.

Désireuse d’apporter sa contribution, elle continue à nourrir les siens grâce à l’autour. Elle a même pu vendre des lapins, ce qui a beaucoup soulagé Louiselle, qui manquait de farine et d’autres denrées de base.

— Tu n’iras pas chasser aujourd’hui, n’est-ce pas? lui demande justement la vieille servante.

Parce qu’elle était désormais la seule de la famille à ne pas être au fait de la présence de l’autour, Marie l’a mise au courant en utilisant mille précautions pour éviter un éclat. À sa grande surprise, Louiselle est restée très calme. Sans doute avait-elle compris depuis un certain temps que Marie ne pouvait chasser autant de gibier sans aide. Elle s’interrogeait, imaginait des scénarios tous plus effrayants les uns que les autres. Maintenant que le mystère est éclairci, elle préfère cette explication à celles qu’elle avait inventées. En outre, l’hiver est rude et elle n’est pas prête à renoncer à cette manne miraculeuse, d’où qu’elle vienne. Ce qui importe pour la vieille femme, c’est que ses jeunes maîtres – ses «enfants», comme elle les appelle en son for intérieur – mangent à leur faim.

Ce matin toutefois, en constatant que Marie prend de nouveau sa gibecière, elle n’a pas le choix de s’interposer. M. de Chaussy a annoncé sa visite.

— Tu dois être là; il vient pour te voir.

— J’avais oublié, bredouille Marie en s’effondrant sur le banc, dépitée.

Louiselle s’assoit près d’elle et lui prend la main.

— As-tu brodé un peu, cette semaine? demande-t-elle doucement. Est-ce que ton trousseau sera prêt à temps?

Marie jette un regard attristé sur la vieille servante. Son petit visage défait trahit son désarroi, et Louiselle laisse échapper un soupir.

— Il faut être forte, mon ange. Je sais que tu n’as pas envie d’épouser M. de Chaussy, mais c’est un homme bon et honnête qui te mettra à l’abri du besoin. Tu verras: le mariage n’est pas si terrible. Il y a de bons côtés.

— Tu peux en parler à ton aise, se rebiffe Marie. Tu es folle de ton Eustache.

— C’est vrai, mais les choses sont plus simples pour les petites gens comme nous. Tu dois redonner à Beauvoir sa splendeur d’antan. C’est ton devoir et je sais que tu auras le courage d’aller jusqu’au bout.

— Je n’en suis pas si sûre, marmonne Marie en se levant.

Louiselle tente de la retenir, mais elle sort précipitamment et disparaît par le sentier qui traverse le boisé.

Au pas de course, elle se rend à la cabane, où l’autour manifeste sa fébrilité à grands battements d’ailes. L’arrivée de Marie signifie toujours

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